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Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830)
Huile sur toile, 260 x 325 cm
Musée du Louvre, Paris
Quelles que soient les époques considérées, de la Renaissance à nos jours, les Arts ont toujours suscité nombre de réflexions, de commentaires et de théories aboutissant à la publication d’ouvrages et de traités, de Dürer à Vasari, en passant par Winckelmann pour ne citer que les plus connus.
Néanmoins, à l’époque néoclassique, une évolution se fait jour quant à la condition de l’artiste : il peut peindre enfin pour lui-même des sujets qui lui plaisent, à connotation politique, tout en sortant de la traditionnelle iconographie et hagiographie religieuse ou mythologique. Il peut enfin, sous couvert d’un classicisme médité, se transposer dans une certaine contemporanéité.
L’artiste devient donc plus que jamais le témoin de son temps, au même titre que les auteurs, et acquiert par là-même le droit de s’indigner. Rien de plus frappant que l’entrée du peuple dans les débats sociaux et culturels : de nombreux orateurs parlent en son nom, demandent en son nom des symboles nouveaux, des actions commémoratives, puis des cérémonies destinées à éliminer « les rites de la superstition » ouvertement condamnés dès les débuts de la Convention (septembre 1792).
Malgré tout, ce qu’il y aura de nouveau dans l’allégorisme républicain était défini pour longtemps : référence antique facile, modèle sans cesse répété.
Néanmoins, à-travers ces représentations le but révolutionnaire était atteint : animer les cœurs ! Bien que l’Esprit des Lumières représente un élan sans égale vers la Liberté, la volonté de faire table rase du passé fut aussi dramatique pour les Arts. Dans un rapport de 1808 de Joachim Le Breton, on peut lire : « L’architecture a plus souffert de la Révolution que les autres arts. L’art ne se montra d’une manière honorable que dans les fêtes publiques ».
Si à travers cet immense élan populaire visant à une régénération on ne peut parler de nouvelle Renaissance française au sens artistique du terme, un pas était définitivement franchi avec la possibilité pour l’artiste, et pour le peuple, de participer directement à une réflexion et à une contestation communes.
Les Arts et la culture pouvaient désormais aussi appartenir à tout un chacun, et non obligatoirement à un public lettré et privilégié, que ne préoccupait que peu au final l’éducation des masses ouvrières et paysannes. Un autre pas fut définitivement franchi avec la création des musées qui fleurirent bientôt dans l’intégralité de la nouvelle République.
Le droit à l’indignation et à la volonté révolutionnaire revint à partir des années 1824 avec ce qui coïncide aussi peu ou prou à la fin des davidiens. Avant le Radeau de la Méduse (1818-1819, Louvre) de Géricault, personne n’avait osé représenter l’horreur de si près et avec autant de force. La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix (1830, Louvre) ne montre pas une représentation abstraite de la Liberté. Au contraire, il s’agit d’une figure allégorique très sensuelle et concrète.
Le XIXe siècle sera donc bien celui des révolutions, tant au niveau des formes que des sujets. Toutes les classes sociales firent l’objet d’une étude artistique nouvelle, conférant au sujet étudié une atemporalité et une universalité, en dépit d’un caractère très typé. Un regard critique est posé désormais sur la réalité.
L’individualisation, la croissance des villes et l’apparition de la culture de masse ne viennent pas à l’esprit en voyant les scènes campagnardes de Millet ou Corot. Pourtant, les répercussions de la réalité industrielle, qui avait touché les pays européens vers le milieu du siècle, ne pouvaient plus être ignorées : l’homme était désormais dépendant de la machine, il était devenu un maillon de la chaîne de l’activité productive orientée vers le profit.
L’art réagissait à cette époque troublée de manière extrêmement variée. Parallèlement à l’art naturaliste qui présentait une certaine inclination pour les visions idylliques, se manifestait une forte tendance pour le réalisme, un réalisme qui ne cherchait pas à embellir ni à transfigurer. Ilia Répine dans Les Haleurs de la Volga (1872, Saint-Pétersbourg, musée national de Russie), Gustave Courbet avec Les Casseurs de pierres (1851, Dresde), redéfinissaient le rôle de l’artiste en renonçant à tout décor anecdotique.
Une nouvelle brèche artistique était ouverte, dans laquelle purent s’engouffrer au XXe siècle des artistes comme Pablo Picasso dont Guernica (1937, Madrid, musée de la reine Sofia) exprime le saisissement, la douleur et le sentiment de deuil déclenchés en lui par cet évènement.
Prendre parti politiquement en tant que peintre était une évidence pour Picasso : « Qu’est-ce que vous croyez que c’est un artiste ? Un imbécile qui n’a que des yeux ? La peinture n’a pas été inventée pour décorer les appartements. Elle est une arme d’attaque et de défense contre l’ennemi ». La Nouvelle Objectivité (1920-1933) avec Kurt Schwitters ou George Grosz illustra à merveille cette idée !