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Le retour du fils prodigue

Il y a des séparations si douloureuses qu’elles rendent les retrouvailles plus intenses. En 1921, le coeur brisé les anglais se rendent à la National Gallery dire adieu au Garçon bleu. L’oeuvre iconique de Thomas Gainsborough vient d’être achetée par un riche américain, Henri Huntington. Ils sont nombreux à penser que jamais plus on ne verra le tableau sur ses terres natales. Pas le directeur de la National Gallery, Sir Charles Holmes, qui écrivit au crayon à l’arrière de la toile, « au revoir ». Il avait bien raison ! Ce 25 janvier 2022, le garnement préféré des anglais est revenu pour quelques mois. L’occasion de redécouvrir l’oeuvre et son génial auteur.

717px thomas gainsborough the blue boy (the huntington library, san marino l. a.)
L’Enfant bleu (The Blue Boy) de Thomas Gainsborough (1779)
Huile sur toile, 177,8 × 112,1 cm
The National Gallery, Londres

Lorsque Thomas Gainsborough peint ce tableau, il vit à Bath. Né à Sudbury et formé non loin à Ipswich, l’artiste a préféré ne pas faire de vieux os à Londres pour éviter la concurrence trop rude d’un Joshua Reynolds. Bath est le lieu de villégiature de la bonne société anglaise, alors c’est dans cette ville qu’il s’installera pour être au plus près de ses riches clients qui souhaiteraient voir son pinceau les immortaliser. 

Il est donc bien légitime de se demander qui est ce jeune garçon. Cette arrogance saupoudrée d’impertinence ne serait-ce pas l’apanage de la noblesse ? Et ce riche costume à la Van Dyck n’est-il pas trop précieux pour un bourgeois ? D’autant plus que l’élite anglaise fascinée par l’élégance des portraits de Van Dyck ne résiste pas à s’en revêtir lors des bals costumés. Gainsborough connait très bien l’oeuvre de son prédécesseur anversois mais ici il ne semble pas s’en être servi pour magnifier un jeune client. 

Les hypothèses sont nombreuses sur l’identité de ce jeune homme mais la plus probable, ou en tout cas la plus acceptée aujourd’hui, serait celle de Gainsborough Dupont, le neveu de l’artiste. L’artiste a d’ailleurs utilisé une toile déjà peinte d’une figure, qui apparait aux rayons X, ce qu’il ne se serait jamais permis pour un tableau de commande.

Mais quelle mouche a donc piqué l’artiste ? Pourquoi ce besoin de peindre cette figure, comme ça, sans contrat ? Gainsborough expérimente peut-être encore, se cherche entre le paysage, le portrait de société, la pièce de conversation et ce genre de figure de fantaisie. 

Ou alors, la légende veut que ce tableau soit une réponse à Joshua Reynolds. On a souvent mis en parallèle les deux artistes; Joshua Reynolds, le peintre d’histoire académicien, bien vu des circuits officiels et Thomas Gainsborough, le portraitiste paysagiste qui évolue à l’écart. Et voilà que Reynolds, devant l’Académie, énonce qu’une composition ne doit jamais être portée par des couleurs froides, tel le bleu. La parfaite réponse à cette affirmation serait le Garçon Bleu. L’histoire serait piquante si les dates concordaient, ce qui n’est pas le cas… Reynolds prononce son discours en 1778, environ huit ans après la peinture de son confrère. Mais la légende est tenace, si l’oeuvre est communément appelée le Garçon Bleu c’est justement à cause, ou grâce, à cette légende.

Quoi qu’il en soit Gainsborough signe un chef-d’oeuvre et il en a conscience. Si le costume évoque Van Dyck, la pose du jeune homme aussi. Pour un peintre anglais du XVIIIème siècle Anton Van Dyck est la référence absolue, le modèle à imiter aussi bien dans sa peinture que dans sa réussite sociale. Avec ces allusions si évidentes, Gainsborough se place dans les pas du maître et montre qu’il est capable de l’égaler. 

Cependant si l’inspiration profonde de l’oeuvre vient de Van Dyck, la technique est bien celle de Gainsborough. L’explosion controlée de la couleur et des coups de pinceaux n’ont rien de la technique soignée du peintre de Charles Ier. Les cinquante nuances de bleus ont été appliquées par Gainsborough avec un pinceau vigoureux, ample qui se juxtapose à de petites touches minutieuses. Indigo, lapis, cobalt, ardoise, turquoise, charbon ou crème, les pigments chatoient et l’oeil recompose le satin du costume. 

On l’aura compris, ce qui fit le succès de l’œuvre, ce n’est pas le sujet en lui-même, son identité a si peu d’importance, mais la maitrise absolue de la couleur et du geste dont fait preuve l’artiste anglais.

Que ce chef-d’oeuvre quitte le sol anglais fut vécu comme un drame par beaucoup. Entre 1914 et 1922, le National Art Collections Fund, le fond permettant d’aider les musées anglais à acheter des oeuvres majeures, vit le nombre de ses membres doubler. Un hasard ?

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