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Monet : peintre en série

Lorsque l’on évoque le travail en série, la première représentation qui nous vient à l’esprit, relève généralement du mécanique, voire de l’industriel, quelque chose de déshumanisé, bien loin de la pratique artistique. Et pourtant…

Depuis la fin du XIXe siècle, de nombreux artistes ont trouvés dans la répétition méthodique d’un même travail, une façon nouvelle d’interroger l’art et la nature. Au premier rang d’entre eux : Monet. 

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Claude MonetLes Meules, effet de gelée blanche (1889)
Hill-Stead Museum, Farmington

En 1890, Monet entame son premier travail en série : les meules de foin. En l’espace de quelques mois, il réalise 25 versions de ces meules, modifiant les cadrages et les points de vue, mais surtout mettant en scène l’évolution de la lumière au fil des saisons et des changements météorologiques. Plus que jamais Monet cherche à rendre la lumière du plein-air, cette lumière qui éclaire le monde à l’extérieur de l’atelier, cette lumière impossible à capter car elle change tout le temps « le soleil décline si vite que je ne peux le suivre… Je deviens d’une lenteur à travailler qui me désespère » écrit-t-il un jour à l’un de ses amis.

Un an plus tard, il commence une nouvelle série, face à la cathédrale de Rouen. Entre 1892 et 1894, l’artiste réalise 40 variations autour de cet édifice gothique. Lumières, points de vue, saisons, météo, une fois encore Monet montre combien la nature est elle-même suffisamment changeante pour que le peintre n’ait pas besoin de modifier son sujet. 

Claude Monet – Le Portail, effet du matin (1893)
Claude MonetLe Portail, effet du matin (1893)
Getty Center, Los Angeles

En effet, en démultipliant les tableaux à partir d’un même motif, Monet relègue le sujet à un rang secondaire pour se concentrer sur ce qui l’interroge réellement : la vision optique subjective. D’un côté il y a la cathédrale qui est un élément immuable, et qu’il suffirait de peindre une fois de façon très détaillée pour en avoir l’image. Mais d’un autre côté, il y a la façon dont nous allons la percevoir, physiologiquement parlant, selon la luminosité, la saison, etc. Bien entendu, la façon dont nous la voyons va aussi se mêler au ressenti face à l’édifice. La cathédrale vous semblera menaçante un jour d’orage et superbe par un beau soleil, plus grande, plus petite, plus écrasante, plus légère selon les conditions dans lesquelles vous la verrez. C’est donc la subjectivité de la vision instantanée que Monet tend à mettre en scène dans son travail en série. Et désormais, c’est une des façons de travailler qui le satisfait le plus. De 1900 à 1904, il réalisera une série londonienne autour des vues du Parlement. La lumière vaporeuse évoque Turner dont Monet à toujours admiré les œuvres. Le peintre paraît alors de plus en plus enclin à laisser son sujet disparaître, à le fondre dans la masse colorée, ce qui laisse perplexe une partie de la critique. 

Cette dissolution du sujet, c’est à Giverny, dans son jardin, que Monet va l’effectuer de la façon la plus expérimentale et la plus aboutie. Contrairement aux paysagistes, qui trouvent un bel endroit, s’installent et peignent leur composition, Monet, lui, a composé directement dans la nature, créant de toutes pièces le motif qui l’occupera pendant les 30 dernières années de sa vie. Il fait creuser l’étang, construire le pont japonais, fait venir des fleurs du monde entier, bref se fabrique un jardin japonisant, en fleurs de mars à novembre, un lieu idéal pour peindre les variations de la lumière, saison après saison, les reflets dans l’eau, les ondulations, la fragilité de l’instant.

Avec près de 250 toiles, la série des Nymphéas prend pour motif les nénuphars sur l’étang de Giverny. Mais entre ce qui se reflète dans l’eau, ce qui est sur l’eau, et ce qui est en dessous de la surface, le sujet de départ se perd souvent nous laissant émerveillés face à une composition colorée dont on ne comprend pas toujours le sens mais que l’on ne peut qu’admirer. 

En allant jusqu’aux limites de nos capacités optiques, en cherchant à « peindre l’impossible », Monet perturbe notre appréhension du sujet à tel point que certains y trouveront une des sources de l’abstraction.

Au XXe siècle, Kandinsky ne cachait pas sa fascination pour Monet. Face à l’une des meules de foin, il considère que pour la première fois il voit un tableau. « Je n’ai pas tout de suite reconnu le sujet de cette peinture. Cette incompréhension me troublait et m’agaçait. Je sentais sourdement que le sujet manquait dans cette œuvre, mais je constatais aussi qu’il s’en dégageait la puissance d’une palette qui dépassait tous mes rêves. Le sujet n’était donc pas indispensable au tableau.»

À sa suite, les grands maîtres de l’abstraction américaine verront en Monet une source majeure du renouveau de la peinture contemporaine, que bien souvent, ils aborderont par le biais du travail en série. 

Visuel principal :
Claude MonetNymphéas (1915)
Musée Marmottan Monet, Paris

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