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Rosa Bonheur :
une artiste du XIXe siècle au cœur des problématiques du XXIe

Si Rosa Bonheur est principalement connue pour sa grande toile du Labourage Nivernais, l’exposition que lui consacre actuellement le musée d’Orsay, tend à démontrer combien sa carrière fut plus riche, multiple et expérimentale que ça. 

Née il y a tout juste 200 ans, à Bordeaux, elle grandit dans une famille où l’art est omniprésent. Son père, peintre et professeur de dessin, épouse une de ses élèves, qui lui donnera quatre enfants. La vie s’écoule doucement, jusqu’à ce que le père de famille ne décide de s’enfermer durant 2 ans avec une communauté Saint-Simonienne afin de réfléchir à l’amélioration de la société, à la condition du peuple, à l’égalité homme/femme.
Tout ça part d’un bon sentiment, sauf que pour cela, il abandonne femme et enfants, laissant son épouse se démener seule, dans le plus grand dénuement. Alors que Rosa n’a que onze ans, la pauvre femme meurt d’épuisement et, faute de moyens, est enterrée dans une fausse commune. Rosa n’aura alors de cesse pour le restant de ses jours de vouloir « relever la femme ». Elle refusera toute proposition de mariage pour ne pas aliéner sa liberté, et vivra toujours entourée de femmes, dans un domaine qu’elle s’offre grâce à son propre travail, grâce à son art.

Cette prise de position forte, cette indépendance réussie, en fait un modèle pour les féministes de son temps. Un féminisme justement mis à l’honneur en ce moment au musée Carnavalet, où la longue lutte des femmes depuis la Révolution française jusqu’à nos jours est très bien documentée. On y trouve notamment le certificat de travestissement de Rosa Bonheur, qui avait obtenu de la préfecture de Paris l’autorisation de porter un pantalon (plus pratique pour s’approcher de ses sujets lorsque l’on fait de la peinture animalière !). Si elle n’a jamais été membre d’aucun groupe féministe, elle n’en est pas moins la première femme à recevoir la Légion d’Honneur, et prouve, selon les mots de l’Impératrice Eugénie qui la lui remet, que « le génie n’a pas de sexe ».  

Depuis son plus jeune âge, Rosa Bonheur adore les animaux et la carrière d’artiste est pour elle une évidence. Si son père essaye dans un premier temps de la dissuader de faire un métier qui, à lui, ne lui a apporté que misère, il cède en découvrant le talent de la jeune fille. Elle a dès lors son plein soutien et, chose importante, jamais il ne la traitera différemment de ses frères. Au sein de sa famille, Rosa n’est pas une « femme artiste » mais une artiste tout court. Et à ce titre-là, elle ne s’embarrasse pas de chercher des sujets dits féminins. Si elle se passionne pour les animaux, elle le fait au même titre que ses collègues masculins, ne se limitant pas aux bêtes de petite taille.

Elle ambitionne de montrer l’animal dans toute sa justesse anatomique, et pour cela elle étudie très sérieusement les ouvrages de sciences naturelles qui se démultiplient en ce XIXe siècle. Mais elle veut aussi montrer l’animal comme un être à part entière (par opposition à l’animal-machine de Descartes). Et pour cela, elle veut voir les animaux dans leur milieu naturel. Alors, elle se déplace.

Dans la veine naturaliste en plein essor, elle met en scène la vie du monde agricole, le labourage, les pâturages. Connaissant un succès grandissant au Salon, elle reçoit une commande de l’État pour le Labourage Nivernais.
Elle se rend dans le Nivernais observe les paysans en train de travailler, réalise de très nombreux dessins et à son retour, crée une œuvre où chaque espèce de bœuf présente dans le nivernais est mise à l’honneur. Ce travail, d’un grand réalisme, permet d’identifier des races aujourd’hui disparues, le monde industriel n’ayant pas le gout de la biodiversité…Mais ce qui frappe le plus dans cette œuvre, c’est de constater que le héros de la scène n’est pas l’homme, mais l’animal. Car après tout, qui travaille vraiment ici ? Qui tire réellement la charrue ?

Rosa Bonheur est fascinée par la puissance des grands animaux avec lesquels l’Homme cohabite. En 1854, elle peint Le marché aux chevaux qui sera l’un des plus grands succès de sa carrière. Comme pour Le Labourage Nivernais, elle choisit une toile très grande, se confrontant au format de la peinture d’histoire, un format généralement interdit aux femmes auxquelles on demande plus de discrétion… Elle y montre des chevaux fougueux et puissants, et se réfère autant aux frises de Parthénon de Phidias qu’au Romantisme de Géricault. Ainsi, Rosa Bonheur prend sa place dans la grande histoire de l’art, sans s’encombrer de préjugés de genre.

Le succès économique est tel que la peintre peut désormais s’acheter son propre domaine, le château de By en lisière de la forêt de Fontainebleau, où elle vit avec son amie Nathalie Micas et la mère de celle-ci. Maitresse en son domaine, elle y rassemble une véritable ménagerie dans laquelle elle puise ses modèles pour les décennies à venir. « À certains moments, c’est une véritable arche de Noé que j’ai eue là. On y a vu des mouflons, des cerfs, des biches, des isards, des sangliers, des moutons, des chevaux, des bœufs et même des lions. »  Car contrairement aux idées reçues, Rosa Bonheur n’a pas peint que des bovins. Chez tous ses sujets elle veut nous montrer une âme, une identité, sans pour autant être dans la projection anthropomorphe.

Dans Le roi de la forêt, elle réalise un portrait de cerf absolument fabuleux. L’animal majestueux se tient sur le qui-vive, prêt à fuir, tout dans son regard et dans sa posture évoque un sujet vivant à part entière, un être différent de nous mais tout aussi légitime, au sein de cet ensemble naturel que nous partageons.

Elle militera d’ailleurs auprès du couple impérial pour protéger certaines zones de la forêt de fontainebleau des entrepreneurs qui exploitent les falaises de grès et menacent les beaux arbres et l’écosystème qu’elle se plait à nous montrer en peinture.

Artiste prolifique, elle dessine énormément, peint, mais aussi sculpte et modèle. Récemment, des recherches menées dans les greniers de son château de By ont révélé un travail expérimental à partir de photographies, rappelant que l’étude de l’œuvre de Rosa Bonheur a encore beaucoup à nous apprendre de cette femme étonnante, que nous connaissons encore trop mal.

Longtemps délaissée, elle fait ainsi un retour triomphal, plus moderne que jamais : icône féministe, défenseuse de la cause animale et du respect de l’environnement, Rosa Bonheur est au cœur de nombreux questionnements essentiels du XXIe siècle.

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