Devant la Bourse de Commerce, qui accueille désormais la collection d’art contemporain de François Pinault, se dresse un étrange cavalier.
Tout en métal (en acier inoxydable précisément) il est parfois difficile d’en saisir les détails dans la lumière du soleil que toutes ses surfaces polies reflètent. Et pourtant c’est bien de ce côté-là qu’il faut chercher pour comprendre cette œuvre intrigante.
Approchons-nous. Sur un cheval grandeur nature, posé directement sur le sol, est installé un cavalier, qui parait aussi mal à l’aise que sa monture semble nerveuse. Pour les détracteurs de l’art contemporain qui pensent que les œuvres de notre époque sont « mal faites », c’est un reproche qui ne pourra être opposé à cette œuvre tant les détails sont précis, des motifs du tapis de selle aux lacets du cavalier, en passant par les traits de son visage où l’on ne peut que reconnaitre… l’artiste lui -même.
En effet, Charles Ray, car c’est bien de lui qu’il s’agit, a choisi de se représenter ici dans cette mise en abîme de statue équestre. Cet artiste américain, né en 1953 à Chicago, met les pieds dans le plat en posant très ouvertement la question : qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui d’être sculpteur ? Que peut-on chercher à exprimer et comment le faire, face à un art qui a une si longue et si glorieuse histoire ? Alors, au lieu de détourner le problème, il y fait face et se confronte à l’un des usages les plus marquants de la statuaire : le monument public.
Car on ne peut s’y tromper. Il s’agit bien d’une statue équestre. On ne peut nommer autrement la statue d’un homme à cheval, installée dans l’espace public.
Cette pratique artistique a comme référence originelle la gigantesque statue en bronze doré de l’empereur Marc-Aurel, aujourd’hui conservée au musée du Capitole.
Depuis ce modèle absolu, tous les souverains ont souhaité être ainsi représentés pour dominer l’espace public ; du Condottiere Gattamelata à Padoue, à Louis XIV sur la place Bellecour à Lyon en passant par Philippe IV à Madrid. Dans toutes ses œuvres, le cavalier triomphant domine sa monture, comme il domine son armée, son pays.
Or, Charles Ray nous propose ici une sorte d’anti-héros. Descendu de son piédestal, il est parmi la foule, qu’il ne surplombe pas. Dépourvu de toute superbe, le cavalier est inconfortable sur ce cheval qui, les oreilles en arrière, ne lui témoigne aucune confiance. Ainsi, si tous les détails sont d’une très grande justesse, on ne peut que constater avec étonnement l’absence de rênes. L’homme assis sur ce cheval n’est visiblement pas en contrôle de quoi que ce soit, ni d’une armée, ni de son cheval, et visiblement pas de lui-même.
Cette nouvelle image qui s’offre à nous, au sein de l’espace public, nous amène à nous questionner sur les héros d’aujourd’hui. Devons-nous encore célébrer la grandeur tapageuse ou plutôt nous intéresser aux héros plus modestes, avec leurs fragilités et leurs craintes ? L’art doit-il encore se mettre au service des puissants pour diffuser à tous une image voulue par le pouvoir ? Ou doit-il se mettre en porte-à-faux ? Ou encore, vivre sa vie, loin des enjeux politiques ?
Enfin, l’artiste serait-il finalement ce nouveau contre-héros qui correspond à notre société ?
Quoi qu’il en soit, nous constatons avec amusement que la statuaire équestre a encore de beaux jours devant elle.