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Artemisia Online - Article

Vierge à « l’enfant »

Le Palazzo Strozzi et le Musée National du Bargello de Florence organisent conjointement cette année une exposition exceptionnelle consacrée à l’artiste de la Renaissance Donato di Niccolò di Betto Bardi, plus connu sous le nom de Donatello (c.1386 -1466). Le sculpteur est particulièrement célébré pour ses statues de marbre ou de bronze comme le David

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fig. 1 donatello, madone pazzi (1425 1430) marbre, 74,5 × 69,5 cm bode museum, berlin
Fig. 1 – Donatello, Madone Pazzi (1425 1430) marbre
74,5 × 69,5 cm
Bode Museum, Berlin

Le Palazzo Strozzi et le Musée National du Bargello de Florence organisent conjointement cette année une exposition exceptionnelle consacrée à l’artiste de la Renaissance Donato di Niccolò di Betto Bardi, plus connu sous le nom de Donatello (c.1386 -1466). Le sculpteur est particulièrement célébré pour ses statues de marbre ou de bronze comme le David du Musée du Bargello, Florence (1430–1440). Un pan de son travail absolument fascinant concerne une technique un peu différente. En effet, Donatello ne s’adonne pas seulement à la ronde-bosse (la sculpture en trois dimensions) mais aussi au bas-relief. Une œuvre fondamentale dans ce corpus est la Madone Pazzi (fig. 1). On y voit une Vierge à l’enfant émerger d’un morceau de marbre rectangulaire, sculptée grâce à une technique que l’artiste italien développe personnellement, le rilievo stiacciato ou relief plat : les variations de volume dans les lignes gravées ne correspondent qu’à des millimètres de différence. La délicatesse de ce traitement permet à l’artiste de créer une image naturaliste dans le rendu des traits, des effets d’ombre, mais aussi de la perspective, des enjeux majeurs dans l’art de la Renaissance.

La Madone Pazzi exemplifie un tournant fondamental du traitement des Vierges à l’enfant avec Donatello et ses suiveurs. En observant le relief, on voit une mère de profil, le front tendrement posé contre celui de son fils, les yeux dans les yeux. Elle l’embrasse de ses mains affectueusement mais fermement, créant une tension entre amour maternel et mélancolie à la pensée du futur sacrifice du Christ. L’enfant est souriant, une main joueuse s’accrochant au voile de sa mère : on reconnaît l’expression et l’attitude d’un bambin. Le visage de la Vierge est subtilement plongé dans l’ombre grâce à cette maîtrise totale du stiacciato, insistant sur la tristesse sous-jacente de la scène. Donatello s’inscrit dans une tradition artistique : les profils font échos aux sculptures antiques et la monumentalité de l’œuvre (grandeur nature) peut évoquer les madones byzantines. Cependant, la madone Pazzi représente également une entrée dans une nouvelle ère. Avec cette œuvre, Donatello révolutionne une iconographie religieuse en y infusant un sentiment que tout le monde peut reconnaitre. L’affection dans ses maternités attendrit le spectateur d’une manière très novatrice pour une image christique au Quattrocento. Il décline ce principe dans d’autres œuvres (Madone dans les nuages, 1425-35, Musée des Beaux-Arts de Boston), et inspire nombres d’artistes, notamment des peintres, qui recherchent également un naturalisme se détachant de l’art médiéval.  Ainsi Andrea Mantegna, Giovanni Bellini, ou Raphaël peignent tous des Vierges à l’enfant dans lesquelles Jésus ressemble véritablement à … un enfant. Ce qui peut nous sembler ici comme une platitude ne tombe pourtant pas sous le sens à l’époque. Il suffit d’observer cette même iconographie traitée par des artistes médiévaux pour le comprendre.

fig. 2 giotto, vierge à l’enfant (c. 1310 1315) panneau peint national gallery, washington
Fig. 2 – Giotto, Vierge à l’enfant (c. 1310 1315)
Panneau peint
National Gallery, Washington

En visitant un musée, il nous est probablement tous arrivé au détour d’une galerie de s’amuser de la représentation du Christ enfant. Nombre de tableaux et de sculptures représentent en effet le « petit Jésus » très loin de l’image que nous avons d’un bébé. Certaines madones tiennent des nouveau-nés à la musculature sur-développée, aux proportions dérangeantes ou au visage beaucoup trop sérieux, parfois accompagné d’un début de calvitie. La Madone de Giotto de Washington, par exemple, est héritière directe du style byzantin (fond doré, cadre architectural, figures sans émotion) et présente un véritable petit homme dans les bras de Marie ; très surprenant et loin des chérubins joufflus de la Renaissance (fig. 2). Cette représentation du Christ correspond au concept d’homunculus, ou littéralement ‘petit homme’ en latin. Jésus est né parfaitement formé et n’a jamais été un bébé au sens traditionnel du terme. Afin d’évoquer la sagesse et la maturité immédiate du Christ, cette iconographie d’un enfant qui ressemble plutôt à un adulte voit le jour.

 
 
vierge en majesté
Fig. 3a – Vierge en majesté (vers 1150)
Bois sculpté
Musée du Louvre, Paris
vierge en majesté
Fig. 3a – Détail de Vierge en majesté (vers 1150)
Bois sculpté
Musée du Louvre, Paris

Déjà à la période romane, les sculpteurs donnent à l’enfant Jésus une allure très mûre, comme sur la Vierge en majesté du musée du Louvre provenant d’Auvergne (fig.3a et b). Le Christ, vêtu comme un adulte, a les traits fins et sérieux, une attitude empreinte de sagesse et une coupe de cheveux bien dégagée derrière les oreilles. Les fidèles qui priaient devant ce genre d’œuvres, souvent logées dans une chapelle, ne questionnaient pas cette anomalie : le Seigneur, qu’il soit juste né ou sur la croix, est vecteur de sagesse éternelle.

fig. 4a vierge en majesté (12e siècle) bois sculpté american pilgrim museum, leyde ?
Fig. 4a – Vierge en majesté (XIIe siècle)
Bois sculpté
American Pilgrim Museum, Leyde
fig. 4b détail de vierge en majesté (12e siècle) bois sculpté american pilgrim museum, leyde ?
Fig. 4b – Détail de Vierge en majesté (XIIe siècle)
Bois sculpté
American Pilgrim Museum, Leyde
 

L’American Pilgrim Museum de Leyde, sans doute le plus petit musée des Pays-Bas, renferme une curiosité. Une madone romane, en trône, portant l’enfant Jésus dans ses bras (fig.4a et b). Jusqu’ici, une iconographie des plus ordinaires. La madone possède les proportions caractéristiques de ces icônes médiévales, notamment la tête et le haut du corps très allongés. La sculpture de bois est très abîmée, les détails difficiles à identifier. Cependant en l’observant attentivement, aucune erreur possible : dans ses bras, « l’enfant » Jésus a les cheveux longs et la barbe d’un adulte ! Le concept de l’homunculus est ici plus que jamais parfaitement illustré, et le lien entre le thème de la Vierge à l’enfant et le futur sacrifice du Christ n’est plus simplement suggéré mais presque condensé dans une seule image : la Vierge Marie donne vie à Jésus immédiatement prêt pour son destin.

 
 
 
fig. 5 parmigianino, la madone au long cou (1534 1540) galerie des offices, florence
Fig. 5 – Parmigianino, La Madone au long cou (1534 1540)
Galerie des Offices, Florence

Malgré la volonté de Donatello et d’autres artistes de la Renaissance de capturer une image de tendresse maternelle et leur tendance naturaliste à représenter Jésus comme un véritable enfant, les drôles de bébés ne disparaissent pas complètement après le Quattrocento. Pensons par exemple aux tableaux maniéristes comme la Madone au long cou de Parmigianino, (1534-1540, Galerie des Offices, Florence, fig.5) dont le Christ est si étrangement allongé. Ici, c’est le style qui « déforme » l’enfant. Les artistes maniéristes cherchent à pousser la nature, le mouvement et l’élégance de la composition jusqu’à l’artificiel, à dépasser le naturalisme que la Renaissance s’est lentement approprié. Qu’on se le dise : ce qui nous apparait parfois comme des « anomalies » en art, par exemple des nouveau-nés qui n’en sont pas, ne sont jamais le fruit du hasard. Ici, on voit dans l’enfant Jésus la traduction visuelle d’une volonté artistique profonde, celle par exemple de dépasser la nature, de représenter le sublime ou le mystère religieux.

Exposition au Palazzo Strozzi et au musée du Bargello, Florence
Donatello, La Renaissance

19 mars – 31 juillet 2022

Image de Sarah Moine

Sarah Moine

Après des études en histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, Sarah Moine a complété son Master à l’université de Leyde où elle a pu parfaire sa spécialisation en art hollandais, notamment à travers un mémoire de recherche sur les natures mortes dans la peinture des Pays-Bas du Nord. Une formation en paléographie lui a permis de débuter ses recherches pour sa thèse en cours concernant la production artistique de la ville de Leyde entre la fin du XVIème et le début du XVIIème siècle. Elle a notamment participé à l’élaboration de l’exposition Pilgrims to America au musée du Lakenhal (2020), ainsi qu’au projet de recherche Leidse Kunstambachten (les arts et artisanats à Leyde) organisé par le RKD, le centre de documentation national pour l’histoire de l’art (La Haye). Elle travaille actuellement au Pilgrim Museum (Leyde), où elle présente les collections XVIIème siècle et médiévales au public. Ses publications incluent une entrée pour le Dictionnaire des Pays-Bas au Siècle d’Or (ed. Catherine Secretan, Willem Frijhoff, 2018) et un essai sur les natures mortes dans le catalogue Intellectual Baggage (Jeremy Bangs, 2020).
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