S’il est peut-être anachronique d’utiliser le terme de mélancolie en parlant de Botticelli, force est de constater que cette œuvre en est toute imprégnée. Marie tient dans ses bras Jésus et se penche, dans un geste d’une grande douceur et d’une infinie tristesse vers Jean-Baptiste, afin que celui-ci embrasse son cousin. Rien de joyeux dans cette scène familiale mais au contraire une gravité subtile et douce.
En 1490, Botticelli ainsi que nombre de Florentins, traverse une profonde crise mystique. L’arrivée du moine Savonarole n’y est pas étrangère. Celui-ci vitupère contre les mœurs florentines, le goût du luxe de ses habitants, leur fascination pour les mythes antiques. A ses yeux, Florence se vautre dans la débauche et l’amoralité, il en appelle à une vie plus austère, sévère. Cet homme charismatique convainc une grande part de la population et Botticelli n’y est pas resté insensible. L’artiste tourne alors le dos aux grandes compositions mythologiques qui ont fait sa célébrité et se concentre sur des thèmes religieux à la mise en page simplifiée.
Ici, les trois figures à l’échelle monumentale occupent tout l’espace et semblent même coincées dans celui-ci. Marie n’a pas d’autre choix que de se pencher vers Jean-Baptiste ; debout, elle sortirait du cadre. L’arrière-plan est à peine défini et sa profondeur toute relative. De même, l’orchestration des plis du vêtement de la Vierge se fait abstraction et la palette chromatique plus restreinte.
Cependant, cette simplicité n’est qu’apparence ; elle sert en réalité une iconographie subtile. En embrassant Jean-Baptiste, Jésus accepte son destin, son sacrifice. D’ailleurs c’est autant son cousin que la croix de celui-ci qu’il étreint. Le geste de Marie devient donc une préfiguration de la mise au tombeau et le buisson de rose une allusion, par ses épines, aux douleurs de la Vierge. Faut-il alors s’étonner de l’ambiance chagrine de ce tableau ?
Toutefois, même si le thème de la méditation sur le sacrifice du Christ figure parmi les favoris de Savonarole, pas de grands gestes, pas de cris ou de larmes dans cette peinture de Botticelli. C’est une douce tristesse qui habite les personnages dont le malheur est accepté car transcendé par la perspective de la rédemption.