Ce visage est reconnaissable entre tous, il s’agit de Jésus. On lit toute la souffrance endurée lors de la montée au Calvaire dans ses traits miraculeusement imprimés sur le linge tendu par Véronique. D’ailleurs c’est bien ce voile qui est représenté, son angle se replie légèrement au coin de la feuille en un subtil trompe-l’œil. Le graveur, Claude Mellan, nous rappelle ainsi le caractère sacré des images, mis à mal par la religion protestante qui s’affirme au XVIIème siècle, et sa propre virtuosité artistique.
Car ce visage est un tour de force inouïe, miraculeux devrait-on dire. Les transitions subtiles d’ombre et de lumière font oublier au spectateur que le jeu des valeurs s’appuie uniquement sur la ligne. Ou plutôt sur une ligne, une seule ligne, d’un mètre cinquante de long. Elle démarre au milieu du nez et se déploie en cercles concentriques réguliers. Une longue spirale qui construit doucement la Sainte Face. « FORMATUR UNICUS UNA », l’unique a été formé d’une seule ligne.
Cette fluidité, cette régularité n’a rien d’évident. L’œuvre est une estampe obtenue à partir d’une plaque de cuivre gravée. L’artiste a d’abord posé la pointe de son burin au centre de la planche, avant de la faire tourner de son autre main. Le graveur joue ensuite des pleins et des déliés, en appuyant plus ou moins fort sur son instrument pour faire pénétrer et ressortir la pointe du métal. Les noirs sont obtenus de manière inhabituelle en gravure, non pas en croisant les traits mais par leur charge d’encre. L’irrégularité des cercles permet de donner tout son relief à l’image. Claude Mellan possède une parfaite maitrise de son art, sa main est si sûre qu’elle contrôle, en un seul jet, la position et la profondeur du tracé. Un seul mouvement suffit à traduire ombre, lumière et volume. Pourtant au premier regard, cette ligne est invisible, le dessin se fait surface, et ne se révèle qu’au regardeur attentif. Un petit miracle en soi.
Mellan ne boude pas son plaisir. Le graveur est fier de son œuvre, on le serait à moins convenons-en. Tout au bas de sa planche, il ajoute une mention « NON ALTER », sans pareil. Mais quoi donc ? Le Christ, c’est une évidence. Mais cela pourrait concerner aussi le sujet, le visage imprimé sur le voile de Véronique dont le nom ne vient-il pas de vera (« vraie ») et icona (« image ») ? Ou alors, ne serait-ce pas l’œuvre de Mellan lui-même, qu’il qualifie de sans pareil ? L’inscription pourrait alors se comprendre à la fois comme un défi lancé au monde des graveurs autant que la conscience de l’exploit accompli ; Mellan lui-même, ne saurait répéter un tel accomplissement, une ligne aussi parfaite. Une sorte d’inspiration divine l’aurait guidé, conduit à ce degré de perfection.