De nombreux érudits utilisent le qualificatif « hellénistique » ou « séleuco-parthe » pour désigner la période comprise entre le IVème siècle avant J.-C. et l’arrivée des Sassanides au IIIème siècle après J.-C. dans le nord-est de l’Arabie.
Concernant le qualificatif « séleuco-parthe », la présence grecque dans le golfe Persique se fit en effet ressentir sous le règne de Séleucos Ier. Ce dernier fonda la dynastie des Séleucides (312 – 64 avant J-C.) qui régna sur un empire allant de l’Anatolie à l’Indus. D’un point de vue archéologique, nous savons, par la présence d’inscriptions, de pièces de monnaie, de poteries importées de style hellénistique et de figurines de divinités grecques, que les Séleucides s’établirent sur l’île de Failaka au IIIème siècle avant J.-C.
Cependant les preuves archéologiques ne sont pas suffisantes pour confirmer une présence séleucide le long de la rive arabe du golfe. Quant à l’Empire parthe (247 av. J.-C. – 224 apr. J.-C.) qui dominait alors la Perse antique, les souverains arsacides étendirent au cours du IIème siècle leur contrôle aux anciens territoires séleucides et au royaume de Characène situé à l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate. L’Empire parthe aurait même exercé son influence sur la côte arabe du golfe jusqu’à la péninsule de Qatar. Toutefois, bien que l’occupation du Nord-Est de l’Arabie soit contemporaine de ces deux empires, il est difficile, voire impossible, de dater des sites ou des pièces archéologiques de l’époque séleucide ou de l’époque parthe, qui sont des termes politiques ; et la culture matérielle entre les deux époques ne connut que de légers changements qui ne permettent pas de les distinguer. Nous sommes donc confrontés dans l’est de l’Arabie, comme en Mésopotamie ou au sud-ouest de l’Iran, à une continuité au moins jusqu’au Ier siècle avant J-C.
Quant au qualificatif « hellénistique » deux raisons peuvent être avancées pour l’utiliser afin de désigner la période comprise entre le IVème siècle avant J.-C. et le IIIème siècle après J.-C. dans le nord-est de l’Arabie. D’une part, aucune culture spécifique n’a été définie permettant d’exclure l’appellation hellénistique en faveur d’un qualificatif propre à cette région et cette période ; d’autre part, l’influence hellénistique semble visible dans les objets mis au jour par les fouilles.
Comme je l’évoquais dans un article précédent, un groupe d’archéologues saoudiens découvrit, en 1998, sur le site de Thâj, occupé entre le IVème siècle avant J.-C. et le IVème siècle après J.-C., une tombe à ciste contenant les ossements d’une fillette, accompagnée d’un dépôt funéraire impressionnant par sa richesse. Elle était allongée sur un lit funéraire orné de motifs de style méditerranéen : quatre statuettes de femme de style classique formaient les pieds du lit, et elle était entourée d’appliques circulaires en or dont certaines étaient gravées à l’effigie de Zeus. Elle était également parée de bijoux prouvant que la région entretenait des contacts avec le monde méditerranéen, hellénistique comme romain.
Les archéologues ont d’ailleurs retrouvé dans quelques tombes – celle de ‘Ayn Jawan ou d’autres de la nécropole de Dhahran, par exemple – du verre et des bijoux romains ou d’inspiration romaine. En 1952, l’archéologue F.S. Vidal mit au jour une sépulture monumentale du Ier siècle de notre ère, sur le site de ‘Ayn Jawan, au nord-ouest du golfe de Tarut. Il s’agit de l’un des sites archéologiques les plus vastes du royaume d’Arabie Saoudite : sur une superficie de près de 200 hectares subsistent, parmi les vestiges, plusieurs tombes à ciste. Dans l’une d’elles, qui devait être destinée à l’inhumation d’une famille de notables locaux que la pêche perlière et le commerce très actif avec le monde grec et l’Empire parthe, ainsi qu’avec l’Inde, avaient enrichie, furent découvertes des statuettes dont l’une représentait Aphrodite, un type très répandu au Proche-Orient à l’époque hellénistique. Par ailleurs, l’une des défuntes était parée d’un torque en or, auquel était suspendu un pendentif incrusté d’agate, et portait un collier composé de perles d’or, de cornaline, d’améthyste et de perles naturelles. On a aussi retrouvé une parure frontale constituée d’une chaînette reliant deux ornements faits de cabochons d’où pendaient des modèles d’amphores en perles naturelles et une attache en forme d’oiseau.
Est-il donc pertinent d’employer le qualificatif « hellénistique » pour désigner la période comprise entre le IVème siècle avant J.-C. et l’arrivée des Sassanides au IIIème siècle après J.-C. dans le nord-est de l’Arabie ? Ce terme peut être remis en question car il s’emploie d’ordinaire à propos du bassin méditerranéen et pour désigner la période historique qui va de la conquête d’Alexandre (IVème avant J-C) à la domination romaine (31 avant J-C). Le terme hellénistique révèle l’hégémonie politique, d’une part, caractérisée par de grandes monarchies, et la période, d’autre part, caractérisée par la civilisation grecque, mais il ne parvient pas à cerner la notion de culture qui est beaucoup plus large et multiple par sa diffusion bien au-delà des frontières de l’empire. Le qualificatif peut être contesté car la région n’est pas en elle-même hellénistique, d’un point de vue géographique et politique en tout cas : le Nord-Est de l’Arabie , comme le reste du Golfe, se trouve en dehors de la Méditerranée et de la domination du monde gréco-romain. Toutefois, l’emploi du terme pour la région peut être entendu d’un point de vue culturel, s’il s’avère que la région a subi une influence hellénistique. Nous pouvons donc nous interroger sur les preuves d’une éventuelle intégration de cette région en tant qu’unité politique dans le monde hellénistique ou de l’adoption de la part des élites politiques de modèles idéologiques, culturels ou artistiques communs aux royaumes hellénistiques qui justifieraient l’emploi de ce terme.