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L’art de recevoir à Venise

La Sérénissime nous émerveille depuis bien longtemps. Au XVIIIème siècle, c’est une véritable fascination qu’elle exerce sur l’Europe. Venise brille pourtant de ses derniers feux; quand en 1794 le doge Ludovico Manin remet les clefs de la ville à Napoléon Bonaparte, la fière république n’est plus. Mais nous n’en sommes pas encore là. En 1727, date où Giovanni Antonio Canaletto peint ce tableau La Réception de l’ambassadeur français Jacques-Vincent Languet, comte de Gergy au palais des Doges, le 4 novembre 1726, Venise éblouit pas ses fastes. La ville de Vivaldi et Casanova mériterait alors le titre de capitale européenne des fêtes et plaisirs et devient un théâtre grandeur nature. Que ce soit pour ses cérémonies traditionnelles comme la Sensa (les fameuses épousailles du doge et de la mer) ou pour la venue d’un ambassadeur, tout évènement est prétexte à une mise en scène soigneusement élaborée. 

Une mise en scène dont il faut garder le souvenir. Non seulement par orgueil civique, Venise est fière de ses particularités, mais aussi pour répondre à la demande de ses nombreux visiteurs. Le Grand Tour fait les affaires de la Sérénissime. Au XVIIIème siècle, il est de bon ton pour un jeune homme bien né de parfaire son éducation par un voyage en Europe où l’Italie est le morceau de choix et Venise une des étapes obligatoires. Bien souvent ces jeunes gens ramènent avec eux des souvenirs : des objets d’art, des dessins et des peintures. Et voilà comment naquit la veduta. Certains peintres tels Gaspard van Wittel ou Giovanni Paolo Panini à Rome se font une spécialité de paysages, généralement urbains, destinés à ces amateurs. Canaletto sera l’un des grands noms de ce genre qui s’épanouit à Venise d’abord sous le pinceau de Lucas Carlevarijs puis de Bernardo Bellotto et Francesco Guardi.

Il s’agit d’abord de décrire la ville. Ici, le spectateur reconnaît parfaitement le palais des Doges, les colonnes de saint Marc et saint Théodore, la Libreria Marciana et au loin l’église du Rédempteur. Un décor qui sert de cadre à une cérémonie fastueuse. Venise est alors la salon de l’Europe et la venue, fréquente, d’un ambassadeur donne lieu à une célébration qui permet au peintre de mélanger les genres et de se frotter à la peinture commémorative. D’ailleurs avec ce tableau Canaletto se confronte directement à son rival Lucas Carlevarijs qui a peint le même évènement quelques temps auparavant (l’œuvre est conservée au château de Fontainebleau). Le cadrage et la disposition des personnages ainsi que les dimensions gigantesques de la toile (181 x 295 cm) s’y réfèrent directement. Cependant l’atmosphère n’est pas la même : par sa perspective rigoureuse et les éclats lumineux, Canaletto fait du lieu, le véritable sujet de son tableau. Plus que l’évènement en lui-même, c’est la ville, son histoire qui est magnifiée. Cette manière claire, grâce à une préparation blanche réfléchissante, que Canaletto associe à un pinceau léger et rapide, sera la recette du succès de l’artiste.

Si l’architecture est un élément important du tableau, n’oublions pas le ballet des petites figures qui l’habitent. Le peintre se vantait de réaliser lui-même ses nombreux personnages, contrairement à Michele Marieschi qui confiait cette tâche à son atelier. En quelques coups de pinceaux, l’artiste réussit à leur donner une certaine individualité. A la fin de sa carrière, ces bonhommes ne seront plus que quelques petites tâches de couleur mais toujours aussi expressives. Dans l’œuvre de l’Ermitage, des flâneurs parfois masqués se mêlent à la ligne colorée des personnages importants attendant l’ambassadeur français, tandis que dans le port, le peuple observe l’évènement. Le peintre a donc figuré la société vénitienne dans son ensemble, montrant son caractère cosmopolite. Cette mise en scène participe à l’attrait de l’oeuvre, le spectateur souhaite voir représenté sa propre société autant au théâtre, si l’on pense à Goldoni, que sur les toiles.

Il faut croire que les oeuvres de Canaletto touchaient tout particulièrement le public anglais car aujourd’hui, c’est au Royaume-Uni vous pourrez admirer le plus de toiles de cet artiste. Pourtant quand l’artiste vénitien se rendra sur place pour peindre des vues anglaises, le peintre ne connaitra pas la même réussite.

giovanni antonio canal la réception de l’ambassadeur français jacques vincent languet, comte de gergy au palais des doges, le 4 novembre 1726 musée de l'ermitage artemisia
Giovanni Antonio Canaletto
La Réception de l’ambassadeur français Jacques-Vincent Languet, comte de Gergy au palais des Doges, le 4 novembre 1726
1726-1727
Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg
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