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Les présents et les absents de l’exposition Vermeer

Cela n’aurait échappé à aucun amateur de peinture hollandaise : le Rijksmuseum d’Amsterdam accueille la « plus grande exposition Vermeer jamais organisée »[1] jusqu’au 4 juin 2023. Pour le musée, c’est un événement majeur ainsi qu’un tour de force organisationnel, tant pour obtenir les précieux prêts que pour recevoir correctement le public qui a répondu présent en masse, tant et si bien que l’exposition est à présent complète (le musée cherche en ce moment à étendre les possibilités de plages horaires). Vingt-huit œuvres de Johannes Vermeer (1632-1675) sont présentées, une proportion impressionnante de sa production totale parvenue jusqu’à nous, qui serait de trente-quatre tableaux (pour les plus sceptiques) à trente-sept (pour les plus généreux).  Ce corpus est assez modeste lorsque l’on considère d’autres artistes hollandais dont les œuvres connues se comptent dans les centaines, comme par exemple Rembrandt van Rijn (1606-1669). Plusieurs peintures du « Sphinx de Delft » ne sont simplement pas parvenues jusqu’à nous. Elles sont parfois connues par des inventaires ou des ventes. C’est ainsi que nous connaissons l’existence d’une peinture mythologique (« Jupiter, Venus et Mercure ») ou d’un autoportrait, qui, sait-on jamais, pourraient un jour ressurgir. Pour ce qui est de la réunion, voyons qui répond présent à ces retrouvailles.

Un invité macabre

saint praxedis, by johannes vermeer
Fig. 1 – Johannes Vermeer ?, Saint Praxedis (1655)
National Museum of Western Art, Tokyo

Un tableau de jeunesse qui a fait couler beaucoup d’encre et dont l’attribution ne fait pas l’unanimité est présenté avec assurance dans l’exposition: le Saint Praxedis de 1655 (National Museum of Western Art, Tokyo, fig. 1). Le sujet un peu obscur fait référence à une sainte romaine du IIe siècle, populaire chez les Jésuites au XVIIe siècle, qui prend soin des martyrisés après leur mort. La scène macabre représente la sainte au premier plan, figure monumentale complètement absorbée par sa tâche : elle récupère avec une éponge dans une coupe d’orfèvrerie le sang du martyr décapité derrière elle. La peinture est cohérente avec l’environnement religieux de Vermeer, qui épouse la catholique Catharina Bolnes et appellera même l’un de ses fils Ignatius en hommage à l’un des saints jésuites les plus importants.

Fig. 2a – Détail de Saint Praxedis
fig. 2b. johannes vermeer, détail du christ chez marthe et marie, ca. 1655, national gallery of scotland, edimbourg
fig. 2b. – Johannes Vermeer, détail du Christ chez Marthe et Marie (ca. 1655)
National Gallery of Scotland, Edimbourg
fig. 2c johannes vermeer, détail de diane et ses compagnes, ca. 1655, mauristhuis, la haye
fig. 2c – Johannes Vermeer, détail de Diane et ses compagnes (ca. 1655)
Mauristhuis, La Haye

La composition assez baroque est cependant éloignée de ce que l’on connait de Vermeer ; et pour cause, la peinture est une copie d’un tableau de Felice Ficherelli dit « Il Riposo », dont plusieurs versions existent. On ne sait pas où le peintre delftois aurait pu voir une telle œuvre, d’un maître toscan somme toute peu connu. Un doute plane donc sur la pertinence de sa présence dans l’exposition. Pourtant, dans la pièce « Premières ambitions » (Early Ambitions), voisin de la Diane et ses compagnes (Mauritshuis, La Haye) et du Christ chez Marthe et Marie (National Gallery of Scotland, Edimbourg), le tableau de la sainte se fond dans le décor et fait sens. Si le sujet ou la composition (inspiré d’un autre !) nous semblent loin de ce à quoi nous sommes habitués avec Vermeer, le style fait écho à plusieurs détails comparables à d’autres œuvres de la salle et les tableaux se complimentent, la manière la plus convaincante sans doute de souligner la cohérence de cette attribution. On retrouve cette même touche fluide des plis de la robe de la sainte notamment chez Le Christ chez Marthe et Marie (fig. 2a et b), de même que le traitement du visage, yeux baissés, concentré sur sa tâche sordide et méticuleuse, rappelle dans le synthétisme du coup pinceau et le traitement des couleurs des visages de Diane ou de Marthe (fig. 2b et 2c).

 

De vrais faux tableaux de Vermeer

Les questions d’attribution d’œuvres sont toujours un sujet épineux. D’aucun pourrait croire qu’avec un peintre aussi célèbre, admiré et étudié que Vermeer, aucun doute ne plane sur la paternité de ses tableaux. Il en existe pourtant plusieurs qui lui ont été attribué sur une base stylistique (surtout au XIXe siècle et début du XXesiècle) avant que les spécialistes ne se ravisent. Mais la confusion est parfois orchestrée : rappelons-nous par exemple de Hans van Meegeren (1889-1947), un faussaire qui trompa plusieurs professionnels de musée, tant et si bien que ses œuvres furent achetées par de grandes institutions culturelles, comme le Boijmans van Beuningen Museum de Rotterdam en 1938, son Christ à Emmaüs dupant notamment Abraham Bredius, le légendaire historien de l’art hollandais. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale que l’attribution de cette œuvre et d’autres est questionnée, et van Meegeren, accusé de collaboration, confesse avoir peint le Christ à Emmaüs ainsi qu’un Christ et la Femme adultère qu’il a vendu comme un Vermeer à Hermann Göring, commandant en chef de l’air force allemande et haut fonctionnaire du parti nazi.

fig. 3 anonyme, homme qui lit, ca. 1660, rijksmuseum, amsterdam
Fig. 3 – Anonyme, Homme qui lit (ca. 1660), Rijksmuseum, Amsterdam

Une œuvre du XVIIe siècle présentant la signature du maître n’est même pas toujours gage de certitude ! L’ajout du monogramme de Vermeer a notamment trompé le Kunsthistorisches Museum de Vienne à propos de L’Homme lisant (fig. 3), un tableau aux alentours de 1660 aujourd’hui au Rijksmuseum d’Amsterdam. La signature s’est avérée fausse, et l’œuvre semble avoir plus d’affinité avec le style d’un Michiel Sweerts (1618-1664) que d’un Vermeer.

Étonnamment, ce n’a pas toujours été dans ce sens que les collectionneurs furent dupés. Le tableau de Diane et ses Compagnes entre au Mauritshuis en 1876 sous une fausse signature ! Celle de Vermeer (en bas à gauche) a été repeinte pour simuler celle de Nicolaes Maes (1634-1693), un peintre très prolifique et populaire parmi les amateurs au XIXe siècle, alors vendu bien plus cher qu’un Vermeer. Ces histoires sont souvent des témoins de l’évolution du goût du public.

Des absents et des gagnants

Outre les difficultés d’emprunt en fonction des institutions, qui ne veulent ou ne peuvent pas toujours se séparer de leurs trésors, ou même les limites financières liées à un tel événement, le grand absent de l’exposition est bien sûr le Concert (ca. 1663-66) volé en 1990 lors du plus grand casse qu’un musée ait connu. Son cadre, dont il a été découpé, ainsi que celui des autres œuvres volées à L’Isabelle Steward Gardner Museum de Boston, attendent sagement son retour sur les cimaises du musée.

fig. 4 cimaise de l’isabella steward gardner, boston
Fig. 4 – Cimaise de l’Isabella Steward Gardner, Boston

L’institution a décidé de les garder exposés afin raconter cette terrible histoire aux visiteurs et rappeler qu’elle ne perd pas espoir (fig. 4).

D’autres tableaux ont connu des histoires rocambolesques, notamment l’époustouflant Femme écrivant une lettre et servante qui aurait pu ne jamais plus participer à une exposition. Avant son arrivée à la National Gallery of Ireland (Dublin),  il avait en effet été volé non pas une mais deux fois du même manoir, la Russborough House (en 1974 et 1986).

girl with a flute, attributed to johannes vermeer
Fig.5 – Johannes Vermeer ?, La femme à la flûte (ca. 1665-70 ?)
National Gallery of Art, Washington
fig.6 johannes vermeer ? la femme à la flûte, 1665 70 ? national gallery of art, washington
Fig.6 – Johannes Vermeer ?, La Femme au chapeau rouge (ca. 1665-70 ?)
National Gallery of Art, Washington

Enfin, certaines toiles ont été conviées sans que leur présentation ne fasse l’unanimité entre musées.  Deux petits tableaux de la National  Gallery of Art de Washington sont présentés ensemble : la Femme au chapeau rouge et la Femme à la flûte (fig. 5 et 6). Étrangement, c’est l’institution d’origine qui doute de l’attribution de cette dernière, alors que le Rijksmuseum insiste pour le présenter comme authentique.  Alors est-ce que les deux œuvres sont de la main de Vermeer, d’un suiveur (contemporain ou tardif), ou bien seulement l’une est-elle authentique et l’autre inspirée mais d’une autre main ? Dans tous les cas, il semble impossible que les deux œuvres aient été créées sans lien l’une avec l’autre. Les similarités sont trop nombreuses : observez par exemple à la façon de peindre le regard, la lumière tombant sur le visage et l’ombre du chapeau, un peu extravagant dans les deux cas, qui fonctionne de la même manière sur les deux visages, ou encore le fond de tapisserie.

Que l’on sorte de l’exposition avec ou sans certitudes quant à ces questions, il est sûr que le lien entre ces œuvres, magnifiquement présentées, se trouve dans leur qualité et leur poésie. Le « Sphinx » de Delft, un surnom qui avait été donné à Vermeer pour la complexité à l’identifier correctement (plusieurs artistes portent ce nom au XVIIe siècle !), s’adapte parfaitement à son style calme, contemplatif et aujourd’hui toujours fascinant.

[1] Expression que le musée lui-même utilise pour la promotion de l’événement.

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